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dimanche, 22 mars 2009

POURQUOI J'ETAIS PAS LA.

Pascale râle, et vous êtes plus silencieux, mais cela n'a pu vous échapper, j'étais pas là hier. Je suis allée à la capitale, pour participer à un atelier d'écriture. Chez moi, on n'en trouve pas ! Un atelier d'écriture, c'est un lieu où l'on travaille en groupe, pas trop grand le groupe, là on était 12 et c'est vraiment le maximum supportable. L'animateur nous donne une contrainte d'écriture et un temps d'écriture à respecter. On se lance. Puis chacun lit son texte aux autres. Une journée étant courte, on n'a pu faire que deux exercices. Je vous donne un aperçu d'une production. Il s'agit d'une nouvelle écrite à partir d'un in-cipit choisi parmi 20 proposés.

Consignes :
- premier rédacteur :Rédigez le début d'une histoire : mise en place d'une situation pour un ou plusieurs personnages.
- deuxième rédacteur : continuez l'histoire de manière cohérente et dans le même style pour qu'on ne sente pas la différence.
- reprise et conclusion par le premier rédacteur.

Si quelqu'un peut me dire de quel roman la phrase en orange est la première phrase, je suis preneuse. A cause de mon train, je suis partie trop tôt, et n'ai pas entendu cette info...

Merci à Tarnouille !

La réponse est donc : Je me regarde souvent dans la glace." est issu du Monologue du bavard de Louis-René des Forêts.

Et j'ai oublié : pourrez-vous trouver les deux "coupures" ??? C'est-à-dire quand S a repris la main, et quand je l'ai reprise à nouveau ? 

 

Je me regarde souvent dans la glace. Cette habitude est récente. Cela m’arrivait rarement avant le 1er janvier 2009. Je n’y pensais pas. Je me connaissais. Je me trouvais banale. Mais le 1er janvier à 3 H 30, devant la bouche de métro de la station Vavin, Pierre Lambardin, 32 ans, comptable dans l’entreprise Picotard et Fils à Athis-Mons, Essonne, a décidé que cette banalité devait cesser. Depuis ce jour, et surtout depuis mon réveil, je cherche régulièrement dans les miroirs une trace de celle que j’étais avant. Mais c’est fou comme une lame peut redessiner une joue, modifier un œil, une bouche ou un profil. Les premiers jours, les fils noirs soulignaient le nouveau tracé de ce que je peux par chance encore appeler un visage. Puis, à chaque œillade, j’ai vu apparaître des marbrures roses d’épaisseurs variées. Pourquoi abuser de ces visions me direz-vous ? Parce que je préfère encore le reflet d’une glace ou d’une vitrine à celui des yeux d’un enfant dans la rue ou d’un banlieusard dans le RER. Et parce que j’espère à chaque fois reconnaître quelqu’un que j’ai connu dans le passé. Une nostalgie irrépressible, mais qui me laisse sur ma faim. Et l’espoir de trouver quelque chose à aimer dans cette inconnue. Si seulement j’étais sûre que Pierre Lambardin n’ait pas de miroir dans sa cellule ! Ce serait tellement injuste qu’il puisse se reconnaître ! Auparavant je n’attachais pas d’importance à mon apparence, mais depuis que Pierre Lambardin et l’ancienne-moi avons eu ce différend, les détails m’importent davantage : la vive grimace d’un inconnu, le regard perçant d’un enfant curieux. Toute cette histoire n’aurait jamais vu le jour si Pierre Lambardin avait agressé une autre personne. Mais maintenant je dois oublier ce qui a précédé mon réveil. Même si mes connaissances me voient comme une nouvelle découverte, je dois ignorer ces changements, bien que je les ressente à chaque opportunité qu’ils ont d’apparaître dans ma vie. Quelquefois je me demande si Pierre Lambardin a eu une peine égale à la mienne. Il est à l’abri de tous les regards. Quant à moi, mes traits nouveaux s’exposent à tout le monde. Non, il n’a pas été sanctionné. Mais comment faire ? « L’essentiel est qu’il soit sous les verrous », me dit la police. « Le temps t’aidera », me disent ma famille et mes amis. « Le procès vous fera surmonter l’épreuve », me répétait mon avocat. Pour l’instant, j’essaye sagement d’éviter les premiers soleils du printemps pour ne pas accentuer les cicatrices, suivant les conseils des médecins. Mais surtout je me force à la cohabitation. Celle de l’intérieur n’a rien de commun avec celle de l’extérieur. Plus elles se croisent dans les miroirs, plus elles se détestent. La haine grandit et provoque à l’intérieur une souffrance insoutenable, tout en les enlaidissant toutes les deux. Aujourd’hui, je me demande, tout en redoutant la réponse : qui aura la peau de l’autre ?

 

Co écriture de Ed et S, dans un atelier bien sympa, le 21 mars 2009.