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dimanche, 11 janvier 2009

Ca nous rajeunit pas ma bonne dame !

Note dédiée à emy, qui vient de réaliser pour la première fois que pour certains élèves, on est vieilles, pour d'autres, jeunes, et pour le reste, on n'a pas d'âge.

 

V. est en troisième. Bavarde les trois quarts du temps, donne l’impression d’être montée sur ressort, à une gouaille des banlieues, bien qu’elle ait grandi dans une zone pavillonnaire productrice de familles endettées à la campagne. Comme elle ne fait pas grand-chose, mais qu’elle ne semble pas idiote, elle redouble sa troisième. Pour info, un de ses frères est en SES et l’autre serait en CPPN si ça existait encore. En seconde, pas de bol pour elle, dans le lycée le plus huppé du centre ville, elle a un accident de mobylette. Renversée alors qu’elle n’y était pour rien sur la nationale. Du coup elle rate le deuxième et une partie du troisième trimestre. Mais, le conseil de classe ne fait pas de sentiment. Déjà un an de retard : réorientation et redoublement pour un... bac G. Pour une gosse qui rêvait d’être prof d’allemand, c’est la tuile. Elle se retrouve à faire des matières qui ne l’intéressent pas, dans un lycée où l’ambiance est plus tendue. Trois mois avant le bac, elle plaque tout. Elle bosse dans une grande surface où elle remplit les rayons. Un jour, elle a 21 ou 22 ans et un chef lui propose de passer un examen qui lui permettrait une promotion, et lui dit qu’elle n’est pas bête et devrait retenter le bac. Elle se laisse convaincre. Les boîtes de conserve, ça la branche pas plus que ça.

 

S. vient du même village que V. Elles sont bien potes. Elle bavarde aussi, mais elle n’a pas de soucis majeurs à la maison. Elle ne vient pas d’une famille intello, mais on lui fout la paix. Au collège, elle est rapide, comprend bien en cours, est dynamique, passionnée parfois. Elle réussit ensuite bien au lycée. Passe un bac qui est peut-être bien un bac B. Elle poursuit des études de droit.

 

Un jour, S a 22 ans, V. 23, et elles se pointent sans prévenir à la maison, avec une bouteille de champagne. S. arrose sa maîtrise de droit, et V son BAC !!! Pour l’une ce sera l’IUFM, pour l’autre, la décision ferme et définitive de faire une licence d’anglais. Mais d’abord, il faut assurer de ce côté-là. Elle part en Angleterre, comme au-pair, revient faire ses études. Je lui rends visite à Londres, puis lui prête des bouquins, car elle a peu de fric pour en acheter. Ses parents n’ont pas un rond. Elle vit avec un copain, puis le quitte. Repart en Angleterre. Et obtient sa licence ! S. , elle, est devenue prof des écoles. Je la croise aux manifs.

 

Pendant les vacances de noël, elles sont venues me voir, quasi sans prévenir. Avec leurs cinq fistons à elles deux. Et V. a dit à son gamin : « Tu vois, c’est Ed. C’est grâce à elle que je suis prof d’anglais ». Elle vit dans une belle région, bosse dans une école bilingue ; son gamin de sept ans parle déjà bien anglais. Elle est belle, classe, a l’air heureuse. Parle avec amour de sa famille, qui galère un peu plus côté fric, mais s’en sort.  S. vit à la campagne, a trois enfants, semble adorer son boulot, et se bat pour qu’on ne détruise pas l’école de la République qui leur a permis de réussir à elle et sa copine.

 

J’avais promis de raconter un autre moment qui me fait ne pas regretter d’avoir choisi le métier de prof. Cette visite en a été un, même si le fait d’entendre dans la conversation qu’elles ont aujourd’hui 38 et 39 ans m’a légèrement « émue ».