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jeudi, 17 septembre 2020

J'ai participé à un concours de nouvelles

De l’Importance de l’Art

Tous les ans depuis l’an 2000, date à laquelle j’ai emménagé dans cette maison, vous avez vidé ma boîte aux lettres, nourri mon chat, arrosé mes plantes et cueilli les légumes et les fruits qui risquaient de se perdre, pendant que je visitais les musées de Paris, Glasgow, Quimper, Montréal, Tunis et autres villes des pays que j’ai aimé visiter.

Vous l’avez fait avec fidélité, loyauté et conscience. Sans rien me demander, bien au contraire. Il n’était pas rare que je rentre et trouve sur ma table de cuisine un gâteau à la fleur d’oranger ou une bouteille d’hydromel fait maison. Bien sûr j’essayais toujours de vous rapporter un petit cadeau, qui vous fasse un peu voyager, vous qui n’en aviez pas toujours les moyens ni la possibilité. Je me suis réjouie pour vous quand vous avez gagné ce séjour au Portugal, que vous aviez choisi de faire au moment où j’allais découvrir l’immobilité, à cause de mon tendon d’Achille opéré.

Une vibration me dérange dans ce moment de rêverie sur ma terrasse.

- Ah, bonjour Monsieur, comment se passe votre séjour ? 

Son numéro n’est pas dans la liste de mes contacts, mais je reconnais sa voix immédiatement. 

- Très bien, merci, me dit-il. La ville de Lisbonne est magnifique ! et d’ailleurs, je vais vous envoyer des photos.

- C’est très gentil. Mais vous savez, la vue sur nos jardins est belle aussi ! Il y a des nuances de vert invraisemblables ! Et au milieu les petites taches orange des potimarrons, qui rappellent la couleur de mon parasol. Ce matin, un petit vent presque frais me fait me sentir en vacances. J’ai l’impression que si je sortais, à deux-cents mètres, j’aurais la mer.

Je me suis laissée aller à cette évocation presque poétique qui ne ressemble en rien aux conversations que nous avons d’habitude.

- Je vous remercie pour le petit courrier, reprend-il. C’est drôle, c’est rare de recevoir une carte postale quand on est à l’hôtel ! Et pour la photo de votre chat aussi ! Il me manque celui-là.

Il se tait, je suppose qu’il a besoin de quelques secondes pour penser à son jardin, sa maison, se rassurer.

- Je ne voulais pas vous déranger, seulement, je m’inquiète un peu. Je pars tellement rarement de chez moi.

En essayant de prendre un ton réconfortant, mais pas trop condescendant, je lui dis :

- Ne vous en faites pas, vos enfants passent régulièrement. D’ailleurs, on s’est échangé des courgettes contre des tomates. Il fait chaud, mais il reste de l’eau dans la citerne, alors, on peut continuer d’arroser votre potager.

- Oh, c’est bien. Et vous ? vous ne souffrez pas trop ? s’enquiert-il. Je pense à vous dans les musées, vous savez. Je sais que vous les aimez tant.

- Mon pied s’en remet. Je dis cette phrase en la trouvant étrangement sans le moindre sens. Mais je n’ai pas trouvé d’autres mots. Mon pied s’en remet à moi, à ma patience, aux médecins, à son destin de pied.

Et moi, demain, je peins.

Je suis rentré hier. J’ai sonné chez ma voisine, mais elle n’était pas là. Son chat est venu à ma rencontre dans la cour, puis s’est éloigné, comme un prince. Je suis entré dans ma maison, est déposé mes bagages sans les défaire, trop fatigué par ce voyage. C’est décidé, je ne reprendrai plus l’avion. Le stress occasionné par l’embarquement, trouver son chemin, sa porte, s’adresser à la bonne personne, tout cela m’est insupportable. Puis traverser Paris, être à l’heure pour le train pour Reims, dans cette gare où tout pue, et finalement prendre le tram, au milieu des masques, non, définitivement non, je ne referai pas cela.  Le couloir n’a pas changé. La cuisine non plus. Sur un coin de table, les trois ou quatre factures que mes enfants ont dû trouver dans ma boite aux lettres. L’odeur n’est pas la même que d’habitude. C’est drôle, elle me rappelle celle des musées à Lisbonne. Mais ici, je peux enfin m’asseoir. J’envoie un message à ma voisine pour la prévenir que je suis de retour, elle avait l’air un peu inquiète pour moi au téléphone. Je me demande où elle est. A peine remise de son opération et elle est repartie ! Elle m’a toujours étonnée par ses voyages, ses récits de visites. Quelle énergie ! Elle fera d’autres voyages, elle.

Je vais au salon, les fenêtres ont besoin d’être ouvertes. Cette odeur de renfermé, je n’en veux plus. L’arrivée d’un message me surprend. « Bonjour Monsieur Ferreira, contente que vous soyez bien rentré. Je suis au Musée d’Orsay. »

La voilà donc replongée dans la peinture. Sur le canapé, un objet inhabituel. J’acclimate mes yeux à l’obscurité, je devine plus que je ne vois. Mais l’image se dévoile. Une tache orange, des reflets, du vert, des ombres, du soleil, les yeux d’un chat dans les herbes, le rouge vif d’un poivron. Les odeurs me viennent dans la tête, le bruit des insectes au plus fort de la chaleur. Elle l’a peint ce tableau pour moi ! J’ouvre les volets et apparaissent un papillon et une courgette. Mon jardin, mon monde. Vu de chez ma voisine. Si près, si loin.

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lundi, 21 janvier 2008

VIRGIBRI A GAGNE !

Le prix accordé à la gagnante du quiz sur Ed le Cheval qui parle était le droit de publier une note sur mon blog. L'interactivité est à la mode dans l'éducation nationale, et donc cela s'imposait. Voici donc pour mon et votre plus grand plaisir une nouvelle écrite par Virgibri en 1994, et dont elle nous fait cadeau. A lire, à savourer, à méditer, à conserver si le coeur vous en dit.

La femme d’en face

Elle s’est mise un peu en retrait, dans sa chambre. Ses invités s’amusent dans le salon. Elle tire le rideau de la fenêtre. Et elle regarde.
Il est déjà trop tard : dehors,  les lampadaires sont allumés ; les maisons dorment. Mais non. En face, dans une chambre, une vieille dame au regard fixe est accoudée à la balustrade. Une vieille dame en chemise de nuit qui s’apprête à aller se coucher. C’est fascinant de la regarder, de l’examiner, de la voir évoluer dans cette chambre, dans la maison d’en face. C’est fascinant de voir, alors que ses invités continuent de rire et de crier, son visage plein de creux, de rivières, et ses cheveux mal noués en une natte. Et la nuit au-dessus de cette petite lumière. Mais non. Soudain, la vieille dame se dirige vers son lit et éteint la lumière. La maison se retrouve plongée dans le noir, maintenant. C’était fascinant de voir cette vieille femme se coucher dans la nuit, seule. Il faut pourtant qu’elle aille rejoindre ses invités, dans le salon, et rire.
Elle a encore l’âge de rire. Encore un peu de temps avant d’aller se coucher, seule, dans le noir. Elle passe la tête dans le couloir sombre ; les sons, les rires se rapprochent. Sa main sur la poignée de porte tremble ; des exclamations l’accueillent, on t’attendait, que faisais-tu, où étais-tu passée. Un toast. Obligée de sourire.
Elle a l’impression que le temps lui échappe soudain. Toujours. Il lui a toujours échappé. Un sablier qu’une main invisible et éternelle ne cesse de retourner invariablement. Des grains de sable perdus. Ceux qui restent s’enfuient déjà, à peine a-t-on hurlé, le dos au sablier.
Les gens autour d’elle passent alternativement au ralenti et à grande vitesse. Elle ne les voit pas dans le présent. Ils lui échappent, eux aussi.
Et la vieille dame ne dort peut-être pas. Elle a peut-être les yeux grand ouverts, dans le noir. Juste une petite lumière au fond du regard, la lumière des souvenirs. Juste une infime lumière sur la joue, celle des regrets. Une vie entière condensée en cette femme qui pleure sans doute au fond d’une chambre sombre dans laquelle elle ne peut plus dormir. Des fantômes, des images mortes y demeurent. Des gens qu’on ne voit plus, des êtres à qui l’on n’a jamais dit qu’on les aimait ; des paroles et des gestes fixes. Des joies et des regrets de toute une vie.
Les invités s’amusent. Un verre à la main, ils s’évaporent comme les bulles de leur champagne. Etre une eau pure, une source éternelle qui sourd d’une terre inconnue, au fin fond d’une forêt claire où les amoureux viennent s’asseoir. Etre source d’images et de souvenirs pour les autres. Des images vives.
Mais tout file avec le vent. L’ouragan du temps emporte l’univers. L’œil du cyclone est trop loin. On naît, on vit, on meurt ; on a aimé. Si vite. Trop rapide. On se succède. Personne n’a encore gagné le duel contre le Temps. Pas à armes égales.
La vieille dame a dû déclarer forfait. Seul, on ne peut se battre.
Les invités commencent à s’en aller. La salle se vide ; il ne reste plus que des plats un peu sales, des verres encore humides, des nappes froissées, des marques de pas sur la moquette. Il n’y a plus de rires. Elle est seule, en pleine lumière, seule avec elle-même. Et des images. Et des joies et des regrets. Dans quelques années, il y aura les mêmes images, les mêmes joies et les mêmes regrets. Mais ils s’éclateront sur les murs d’une chambre sombre, plongée dans le noir, quand elle sera dans son lit bien fait, trop vaste pour elle, les yeux ouverts, la natte défaite. Et quand une jeune femme la regardera de l’immeuble d’en face, dans le noir. 

                                                                                                                                 Virgibri, novembre 1994.

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jeudi, 27 décembre 2007

Velléités littéraires

Il y a quelques temps j'ai eu des vélléités d'écriture. Je devais participer à un concours de nouvelles, mais ayant "merdouillé" pour envoyer le résultat de mes cogitations, rien n'est jamais arrivé à destination. Alors que certains d'entre vous sont en vacances et sont peut-être affalés dans leur canapés après moult agapes, je publie donc un texte que vous aurez liberté de lire ou non :

Portion Incongrue

 

 

 

XS215 vit dans le troisième quartier, portion S2, et comme tous les soirs a posé son doigt sur la pastille rouge à droite de la porte, et le coulissement  a provoqué le sifflement doux et familier qui semble lui murmurer « entre chez toi, ils n’y sont pas. » Il y a quinze jours encore, il pouvait garder son gant, ou utiliser sa main gauche, s’il en avait envie. Mais à présent, seul son index droit peut lui offrir calme et repos. Dans une boite en carton des années 2010, il a rangé toutes les clés de la maison. Il y en a des petites, des dorées, des cubiques à l’extrémité, une en forme de latte en plastique. Autant qu’il s’en souvienne, c’était celle du parking, une autre qu’il chérit, parce qu’elle est grosse, lourde, et qu’elle fermait sa chambre. Il les garde, ces clés qu’il pouvait prêter, qui ressemblaient sans le savoir à chacune des pièces dont elles étaient le sésame. La boîte, il ne la sort que la nuit, après une heure et avant trois heures, seule période où les projecteurs s’éteignent complètement. Alors, les caméras ne voient pas tout.

 

La porte à peine refermée, le détecteur de présence déclenche la diffusion de ces notes qu’il essaye de ne pas écouter. Tous les soirs, invariablement, le dimanche matin lorsqu’il revient de chez le buraliste où il achète chaque semaine le journal et une boite de pastilles d’iode, ou le matin quand il a terminé de promener son chien, il entend, sans même se rendre compte que c’est de la musique, la version métallico-aléatoire du concerto de l’Empereur de Beethoven. En fait il ne l’entend plus. Et pour cause, il enfile désormais des blokoreils qu’il a trouvés au même rayon que les pastilles. Dans ce magasin de la rue Kouchner, il peut tout aussi bien trouver des filtres à airs que l’on place dans ses narines pour supporter l’odeur de la rue, que des combinaisons jetables pour éviter les démangeaisons. La vie n’est pas si dure finalement, contrairement à ce que disent les radios subversives qu’il capte parfois par hasard sur son orditroni dernier cri. De toute façon ce soir XS215 s’en fout. YP12Q7 va venir. Elle lui a télépathé son heure d’arrivée, et il va pouvoir lui ouvrir. C’est la deuxième fois qu’il est ému d’amour. La première fois, le comité de préservation n’avait pas validé l’émotion qu’il ressentait pour G124XZ. Le 2 ne leur convenait pas. Alors il ne l’a plus vue. Il se demande parfois si elle vit toujours dans la même portion. Du temps de G124XZ, la musique ne jouait pas tout le temps. On avait encore le droit de prendre des minutes de silence. Sans abuser, bien sûr ! Il parait qu’un jour les projecteurs de plafond seront réglés exactement comme la musique. Il a du mal à penser qu’ils pourraient aller jusque là. Cela semble hier, les soirs où YP12Q7 le surprenait en venant l’attendre chez lui. Elle se fondait dans son intérieur douillet et lui préparait son repas préféré : champagne et huîtres fumées aux oignons. Ce soir c’est lui qui cuisine. Mais il a peur d’oublier l’heure. S’il n’ouvre pas, YP12Q7 ne pourra pas rentrer, et si une patrouille la rencontre dehors, plus tard que l’heure d’arrivée prévue, et sans son certificat de fin de soirée qu’il doit lui signer avant qu’elle ne s’en aille, elle finira la nuit dans la capsule de police la plus proche. Au magasin de la rue Kouchner, il a eu envie de lui acheter les lunettes que portait le robot de la caisse. Des montures bleu ciel comme les yeux de YP12Q7. Mais quand il a dit au robot : « Ils font les mêmes pour les hommes? », celui-ci lui a ri au nez sur l’air de l’Empereur, et il a compris qu’il deviendrait vite suspect s’il se permettait d’insister. Alors il est reparti, a glissé son index droit sur la pastille rouge, a entendu dans un sifflement « Entre chez toi, ils n’y sont pas » et il a pénétré dans la chaleur de son appartement, uniquement parasité par les sons métallico-aléatoires. Il regrette les lunettes, le cadeau qu’il ne fera pas, le sourire de son premier amour, les souvenirs bons ou mauvais de son enfance qu’on lui a effacés à trente ans pour qu’il ne perde pas son efficacité à son poste, et le fait de ne pas avoir osé demander des vacances. Cela fait quatre ans qu’il n’en a pas pris, alors il sait qu’il est sur la liste des libérables. Mais il ne veut pas se faire remarquer. Déjà, il y a six mois, il s’est permis de demander qu’on baisse le Concerto dans son bureau parce qu’il avait mal à la tête, et il sait que cela lui a valu un rapport. Alors, pour les vacances, il attendra l’année prochaine.

 

Il se remet à la cuisine. Sur la planche à découper, il place l’oignon et l’émince avec le couteau qui lui vient de ses grands-parents. Il aurait dû le faire enregistrer. Il y pense à chaque fois. Avec dextérité il émince. Il pense à YP12Q7, imagine sa démarche sur le trottoir d’en face, regarde l’heure, dans trois minutes, il ira lui ouvrir. Elle sera là, et pour un instant ils seront seuls, sans musique, sans le monde autour d’eux. Une mare de sang se forme soudain sur la planche à découper, au milieu, une phalange. Qui pâlit. Elle devient illisible. Plus jamais il n’ouvrira sa porte. Plus jamais il ne verra YP12Q7. Jamais la police ne la croira. Et jamais elle ne comprendra.

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